La prière de Jésus, au coeur de la spiritualité orthodoxe

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VexillumRegis

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La prière de Jésus, au coeur de la spiritualité orthodoxe

Ecrit le 09 déc. 2005 17:02

Message par VexillumRegis »

Bonjour,

J'ai lu récemment un petit livre (170 p.) fort intéressant : Récits d'un pèlerin russe, aux éditions du Seuil (Livre de vie).

Publié pour la première fois en Russie vers 1870, ce petit livre, dont l'auteur est resté anonyme, représente l'un des plus beaux textes spirituels de l'orthodoxie russe.

A travers un style qui garde le charme du langage populaire, le lecteur découvre la piété russe, dans ce qu'elle a de frais et de pur. Des épisodes nombreux et colorés le mettent au contact direct de la Russie ancienne, celle qui a inspiré les grands écrivains du siècle passé. Il rencontre enfin une traition contemplative - l'hésychasme - remontant aux premiers siècles de l'Orient chrétien, appliquée par un contemporain de Dostoïevski et de Tolstoï.

Pour se guider dans son parcours initiatique, le pélerin n’a que deux livres, la Bible et un receuil de textes patristiques, la Philocalie. Ce nom seul permet de définir l’école à laquelle il se rattache. Russe du XIXème siècle, le pélerin s’inspire d’une des plus vénérables traditions de l’Orient chrétien, la tradition hésychaste (de èsuchia, calme => silence => contemplation).

L’hésychasme remonte aux premiers siècles chrétiens. Il prend son origine au mont Sinaï et au désert d’Egypte. Dans l’Eglise d’Orient, il apparaît comme le courant mystique par opposition à la tradition spécifiquement ascétique issue de saint Basile.

Inspirées d’Origène, d’Evagre et de Grégoire de Nysse, les écoles mystiques de l’Orient chrétien assignent pour fin à l’homme la déification. Celle-ci est souvent comprise comme la restauration en l’âme de la ressemblance divine. Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance (Gn I, 26). La nature intellectuelle et morale de l’homme est à l’image de Dieu. Elle lui devient ressemblante lorsque par la charité Dieu vient habiter dans l’âme humaine, l’élevant ainsi au-dessus de toute la création. Libéré des passions par la pratique de la vertu, l’esprit contemple les raisons des choses créées et dans l’amour reçoit l’union avec Dieu. Cette union peut s’accomplir dans la lumière ou au contraire dans les ténèbres. Elle peut prendre une forme plus intellectuelle ou plus affective. Elle demeure toujours un mystère, puisqu’elle unit l’âme créée au Dieu incréé et transcendant. La théologie mystique d’Orient, tout comme celle d’Occident, mais avec des accents différents, se situe hors de la gnose, du panthéisme ou du naturalisme.

La tradition spirituelle qui, sous l’influence de grands contemplatifs comme Diadoque de Photicé (Vème siècle), se constitue peu à peu dans les monastères d’Orient, donne au coeur un rôle central dans la vie d’oraison. Considéré comme le siège de l’intelligence et de la sagesse, le coeur doit être tourné vers Dieu sans répit. On le nourrira à cette fin d’une prière constamment répétée : Seigneur Jésus-Christ, ayez pitié de moi. C’est la prière de Jésus, mentionnée dès le VIème siècle par saint Jean Climaque. Cette méthode ne conduit pas par elle-même au recueillement. Conjuguée avec la pratique des vertus, éclairée par l’amour de Dieu, elle peut favoriser l’oraison. Mutatis mutandis, elle fait penser à la pratique du rosaire en Occident.

A partir du XIème siècle, une évolution se dessine. Sous l’influence indirecte d’un profond mystique, saint Syméon le Nouveau Théologien, on tend à donner à la conscience psychologique du surnaturel une valeur exagérée. Nul ne sera vraiment chrétien s’il n’a expérimenté concrètement la grâce. Les hésychastes repoussent les visions imaginaires mais, cherchant l’illumination consciente, ils sont exposés à certains dangers. Les uns, prenant le mot coeur dans son sens physiologique, attribuent trop d’importance aux moyens « scientifiques » de parvenir à l’oraison : position du corps, rôle du coeur, contrôle du souffle, etc. D’autres font de la vision expérimentale de la lumière le but de l’oraison. Cet aspect extrême de l’hésychasme suscite au XIVème siècle de vives controverses où s’illustre Grégoire Palamas. Cependant la tradition authentique continue à inspirer de nombreux contemplatifs.

L’hésychasme est transmis à la Russie par Nil de la Sora (1435-1508), l’une des plus hautes figures du monachisme russe. Tombée plus tard dans l’oubli, cette tradition est restaurée à la fin du XVIIIème siècle par un autre starets, Païsius Velitchkovski, installé en Moldavie. Les textes hésychastes qu’il rassemble et publie en 1794 dans la Philocalie slavonne, le Dobrotolioubie, guideront les solitaires et les spirituels russes du XIXème siècle. Ceux-ci renouent ainsi avec une tradition bien antérieure à la rupture de l’unité dont certains aspects n’ont pas été ignorés du moyen âge latin.

_____________

Deux extraits des Récits d'un pèlerin russe

Je cherchai avant tout à découvrir le lieu du coeur selon l’enseignement de saint Syméon le Nouveau Théologien. Ayant fermé les yeux, je dirigeai mon regard vers le coeur, essayant de me le représenter tel qu’il est dans la partie gauche de la poitrine et écoutant soigneusement son battement. je pratiquai cet excercice d’abord pendant une demi-heure, plusieurs fois par jour ; au début, je ne voyais rien que ténèbres ; bientôt mon coeur apparut et je sentis son mouvement profond ; puis je parvins à introduire dans mon coeur la prière de Jésus et à l’en faire sortir, au rythme de la respiration, selon l’enseignement de saint Grégoire le Sinaïte, et de Calliste et Ignace : pour cela, en regardant par l’esprit dans mon coeur, j’inspirais l’air et le gardais dans ma poitrine en disant : Seigneur Jésus-Christ, et je l’expirais en disant : ayez pitié de moi. Je m’exerçai d’abord pendant une heure ou deux, puis je m’appliquai de plus en plus fréquemment à cette occupation et, à la fin, j’y passais presque tout le jour. Lorsque je me sentais alourdi, fatigué ou inquiet, je lisais immédiatement dans la Philocalie les passages qui traitent de l’activité du coeur, et le désir et le zèle pour la prière renaissaient en moi. Au bout de trois semaines, je ressentis une douleur au coeur, puis une tiédeur agréable et un sentiment de consolation et de paix. Cela me donna plus de force pour m’exercer à la prière, à laquelle s’attachaient toutes mes pensées et je commençai à sentir une grande joie. A partir de ce moment, j’éprouvai de temps à autre diverses sensations nouvelles dans le coeur et dans l’esprit. Parfois il y avait comme un bouillonement dans mon coeur et une légèreté, une liberté, une joie si grandes, que j’en étais transformé et me sentais en extase. Parfais mes larmes coulaient d’elles-mêmes par reconnaissance pour le Seigneur qui avait eu pitié de moi, pêcheur endurci. Parfois mon esprit borné s’illuminait tellement que je comprenais clairement ce que jadis je n’aurais pas même pu concevoir. Parfois la douce chaleur de mon coeur se répandait dans tout mon être et je sentais avec émotion la présence innombrable du Seigneur. Parfois je ressentais une joie puissante et profonde, à l’invocation du nom de Jésus-Christ, et je comprenais ce que signifie sa parole : Le Royaume de Dieu est à l’intérieur de vous (Lc XVII, 21).- pp. 67-69

(....)

Alors représente-toi ainsi ton coeur, tourne tes yeux comme si tu le regardais à travers ta poitrine, et écoute de toutes tes oreilles comment il bat coup après coup. Quand tu te seras fait à cela, efforce-toi d’ajuster à chaque battement de ton coeur, sans le perdre de vue, les paroles de la prière. C’est-à-dire avec le premier battement dis et pense : Seigneur, avec le second : Jésus, avec le troisième : Christ, avec le quatrième : ayez pitié, avec le cinquième : de moi, et répète souvent cet exercice. Cela te sera facile, car tu es déjà préparé à la prière du coeur. Puis, quand tu seras habitué à cette activité, commence à introduire dans ton coeur la prière de Jésus et à l’en faire sortir en même temps que la respiration, c’est-à-dire en inspirant l’air, dis ou pense : Seigneur Jésus-Christ, et en l’expirant : Ayez pitié de moi ! Si tu agis ainsi assez fréquemment, et assez longtemps, tu éprouveras bientôt une légère douleur au coeur, puis peu à peu il y naîtra une chaleur bienfaisante. Avec l’aide de Dieu, tu parviendras ainsi à l’action constante de la prière à l’intérieure du coeur. Mais surtout garde-toi de toutes représentations, de toutes images naissant dans ton esprit pendant que tu pries. Repousse toutes les imaginations ; car les Pères nous ordonnent, afin de ne pas tomber dans l’illusion, de garder l’esprit vide de toutes formes pendant la prière. - pp. 145-146

- VR -

Christophe

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Prière de Jésus et orthodoxie

Ecrit le 28 déc. 2005 18:48

Message par Christophe »

Ce n'est pas seulement la prière de Jésus qui est au coeur de l'orthodoxie, mais l'hésychasme. Il n'y a pas d'opposition (avec saint Basile par exemple). En fait, ce que l'on appelle "la mystique" (vivre la mystère et la présence du Seigneur) n'est pas séparée d'une autre manière de vivre la foi, en théologien par exemple. Evagre le Pontique a dit à ce sujet une phrase caractéristique (je cite de mémoire): "Si tu pries vraiment tu es théologien. Si tu es théologien, tu pries vraiment". A ce propos, on ne peut pas considérer que la Philocalie est uniquement inspirée d'Origène. Celui-ci est à l'origine d'un courant important. Evagre l'illustre bien. Mais un Macaire l'Egyptien, auteur des "Homélies spirituelles", exprime un autre courant. Ainsi, ceux qui sont influencés par la pensée grecque (comme Evagre) font du nous (l'esprit) l'organe du lien avec le Seigneur, tandis que Macaire, sans doute plus influencé par la pensée sémite, parle plus volontiers du coeur. Pour terminer sur cette partie, on peut faire observer que saint Grégoire Palamas n'est pas dans la lignée d'Origène à l'inverse de son adversaire Barlaam (voir le livre de Jean Meyendorff disponible en poche sur "Saint Grégoire Palamas et la mystique orthodoxe". le maître mot qui manque dans cette présentation intéressante est qu'il s'agit d'un non-dualisme, ce qui est un reproche de taille que l'on peut faire à Origène et aux "origénistes", comme Evagre et plus encore au Pseudo-Denys l'Aréopagite.
Quant aux "techniques": quelques auteurs les mentionnent, elles peuvent très ponctuellement aider, mais elles sont très secondaires et peuvent même s'avérer dangereuses y compris pour le corps. J'en profite pour préciser que l'utilisation de la prière de Jésus hors de l'Eglise - en tant que Corps et non le bâtiment- ne correspond à rien et n'amène nulle part, sinon à l'égarement. Un père spirituel renommé, né au ciel récemment, en 1987, a dit à ce sujet: " La prière de Jésus ne peut être pratiquée en dehors de l'Eglise; c'est l'Eglise qui lui donne son sens. Elle ne peut être envisagée isolément, être séparée de son contexte. Elle doit s'accompagner de la lutte contre les passions. (...) En dehors de l'Eglise, etsans lutte contre les passions, la prière de Jésus n'est pas valable." (dans "Le Starets Serge" de Jean-Claude Larchet aux éditions du Cerf).
Le message comporte une bonne mention d'auteurs importants comme saint Jean Climaque et saint Syméon le Nouveau Théologien, ou encore la belle et évangélique figure de saint Nil de la Sora.
Plus près de nous un saint Séraphin de Sarov, au 19e siècle, et un saint Silouane de l'Athos, au 20e siècle, parmi beaucoup d'autres jusqu'à nos jours, perpétuent au plus haut niveau, l'hésychasme.
Quelques ressources sur l'Internet:
- A partir de cette page, des articles sur la prière de Jésus:
http://www.pagesorthodoxes.net/coeur/coeur-c.htm
- Sur saint Séraphin de Sarov:
http://www.pagesorthodoxes.net/saints/s ... -intro.htm
- Sur saint Silouane:
http://www.pagesorthodoxes.net/saints/s ... uction.htm
-Des textes philocaliques sont en ligne sur cette autre page:
http://www.saint-seraphin.net/page04a.html

medico

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Ecrit le 29 déc. 2005 09:59

Message par medico »

ce que j'aime dans tout ça c'est la simplicité :wink: :D :D
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Pasteur Patrick

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Ecrit le 30 déc. 2005 14:19

Message par Pasteur Patrick »

La philocalie, excellente lecture,même si certains n'ont pas l'air de bien comlprendre ...
-Mercipour le lien
Bonne soirée
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